Une approche systémique pour réussir la transition énergétique de la mobilité

Afin que les engagements de la COP21 pris à Paris en 2015 sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) puis la neutralité carbone en 2050 soient respectés, des transformations rapides sont nécessaires. Nous sommes aujourd’hui sur la trajectoire d’un réchauffement global de 2,80°C, au lieu des 1,50°C visés1 . Le secteur des transports, qui représente 23 % des émissions2 , est le deuxième plus gros émetteur de GES. Et environ 45 % de ces émissions proviennent des voitures, des taxis, des bus et des motos3 . Sans action radicale, il deviendra impossible de ralentir le rythme du changement climatique et de limiter les impacts négatifs qui se font déjà sentir partout dans le monde.

Dans le domaine des mobilités, la transformation est d’ores et déjà en marche. Mais les décisions à prendre aujourd’hui ne sont pas simples : elles auront un impact sur les émissions de demain pendant des années, voire des décennies, et doivent donc découler d’une approche systémique tout en tenant compte de la multiplicité des parties prenantes, de l’interaction entre organisations, de questions économiques et techniques.

En s’appuyant sur des années de pratique dans la planification, la conception et la réalisation de projets de transport public dans le monde, les ingénieurs de SYSTRA partagent leur expérience et leur approche systémique à travers une série d’articles sur la transition énergétique, dont le premier aborde l’enjeu global de la décarbonation de la mobilité.

1Emissions Gap Report 2022 (unep.org)
2Global energy-related CO2 emissions by sector – Charts – Data & Statistics – IEA
3Cars, planes, trains: where do CO2 emissions from transport come from? – Our World in Data

Comment atteindre le net zéro, aujourd’hui et demain ?

Nous ne pouvons pas compter sur la seule transition énergétique pour décarboner la mobilité. Elle doit en effet être associée à trois autres leviers, tous liés et interdépendants : la réduction de la demande de mobilité, le report modal vers les transports publics et l’amélioration de l’efficacité énergétique.

Tout d’abord, nous diminuons les émissions simplement en réduisant le nombre de nos déplacements ainsi que leurs longueurs. La gestion de la demande de mobilité s’appuie sur la modélisation de données, la recherche et des analyses multicritères pour construire des stratégies et politiques qui réduiront la demande en transport ou la reporteront vers d’autres modes, d’autres périodes de la journée ou enfin des itinéraires alternatifs.

Deuxièmement, l’empreinte carbone par passager peut être réduite en privilégiant les transports publics ou partagés plutôt que les voitures particulières.

Troisièmement, améliorer l’efficacité énergétique des systèmes de transport public existants et futurs permet de réduire les émissions de carbone et les coûts d’exploitation, tout en offrant des niveaux de service identiques, voire meilleurs.

Enfin, il y a la transition énergétique en elle-même. Il ne s’agit pas seulement de faciliter la transition du diesel à l’électricité. Les nouvelles technologies et les solutions innovantes, telles que les carburants alternatifs ou les systèmes hybrides, peuvent contribuer à réduire l’empreinte carbone des systèmes de transport public dans les cas où l’électrification n’est pas viable techniquement ou économiquement.

Comment agir sur la demande de transport urbain par la planification stratégique

Le transport urbain représente 40 % de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre dues au transport de passagers et la demande devrait doubler entre 2015 et 20504 . À mesure que les populations migrent vers des villes de plus en plus grandes, le nombre de trajets effectués chaque jour et leurs longueurs augmentent, à l’instar des émissions de carbone.

Alors que les planificateurs de transport modélisent habituellement les besoins de mobilité pour répondre aux demandes prospectives, il s’agit avant tout de trouver des moyens d’agir sur ces besoins. Dans les pays développés, cela passe généralement par des politiques de rationalisation de l’utilisation des voitures particulières, afin de diminuer la consommation d’énergie par déplacement et les émissions de carbone.

En Irlande, SYSTRA a mené une étude pendant deux ans pour le compte du gouvernement afin d’identifier les mesures qui auraient le plus d’impact sur la demande de transport, dans les cinq plus grandes villes du pays : Dublin, Cork, Galway, Limerick et Waterford. Une baisse de la demande de transport améliorerait l’empreinte carbone de la mobilité, et aurait un impact positif sur la qualité de l’air, la congestion et la qualité de l’environnement urbain.

Grâce à l’implication des parties prenantes, à une modélisation sophistiquée de la mobilité et des moyens de transport associés, à une analyse des objectifs fondamentaux et des impacts potentiels, des dizaines de mesures inspirées d’expériences internationales ont été évaluées et retenues parmi celles qui conviendraient le mieux pour ces cinq villes. Ces questions vont du stationnement aux zones à faibles émissions, en passant par les technologies de nouvelle génération jusqu’aux changements de comportement.

L’étude a identifié les trois stratégies à plus fort impact dans les cinq villes, la plus efficace étant la conception de « quartiers du quart d’heure »5 dans les plans nationaux et locaux. En outre, elle a permis d’évaluer et de modéliser un large éventail de mesures afin de calculer leur impact sur les émissions de carbone. Ainsi, des mesures de taxation progressive des carburants destinées à encourager le passage du diesel à des carburants plus propres pourraient entraîner une réduction de 32 % des émissions de carbone, tandis qu’une campagne ambitieuse de changement des comportements encourageant les automobilistes à opter pour des véhicules électriques pourrait permettre une réduction de 27 %.

4 ITF Transport Outlook 2021 | OECD iLibrary
5Sur le modèle de la ville du quart d’heure, où tous les services essentiels sont à une distance d’un quart d’heure à pied ou à vélo.

Des solutions de transport public pour les villes en forte croissance

D’ici à 2050, les villes du monde compteront 2,5 milliards d’habitants de plus qu’en 20186 . Les villes qui connaitront une croissance parmi les plus rapides se trouvent en Asie et en Afrique, souvent dans des économies émergentes telles que l’Inde et le Nigeria.

Les responsables régionaux et nationaux font face à une situation difficile lorsqu’ils doivent choisir des systèmes de transport public : comment sélectionner la meilleure solution pour une ville qui ne cesse de se croitre, avec un développement qui n’est pas toujours contrôlable ou prévisible ?

À l’heure actuelle, la plupart des décisions sont motivées par le coût d’investissement. Toutefois, avec la multiplication des objectifs de réduction des émissions de carbone que se sont fixés nombreux pays, les décideurs doivent aussi tenir compte de l’impact des stratégies retenues sur les émissions de carbone et sur d’autres facteurs environnementaux.

En Inde, où la population a triplé en 60 ans avec une part urbaine toujours croissante (33% 7 en 2022), SYSTRA a contribué à la définition d’une stratégie nationale visant au report modal, notamment par le développement d’infrastructures de transports publics à même de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce projet, qui s’inscrit dans le programme mondial MobiliseYourCity (MYC), comprend la mise au point d’un système d’indicateurs portant sur les transports urbains, basé sur des données accessibles et facilement mobilisables par les décideurs.

En complément de ces indicateurs, SYSTRA a construit trois scénarios et mesuré leurs émissions de gaz à effet de serre. Le plus ambitieux des trois scénarios prévoit une réduction de plus de 40 % des émissions actuelles pour les transports de passagers et logistiques.

 Cette stratégie nationale a notamment été élaborée à partir de la consultation des parties prenantes de plusieurs départements du gouvernement central et des représentants de trois villes pilotes – Nagpur, Kochi et Ahmedabad – ainsi que des d’autres institutions en lien avec le transport urbain.

6 Around 2.5 billion more people will be living in cities by 2050, projects new UN report | United Nations

7 worldpopulationreview.com

Améliorer l’efficacité énergétique des transports ferroviaires électriques urbains

Bien que la consommation énergétique par passager pour les trajets effectués en train soit inférieure à celle des modes routiers, le transport ferroviaire reste un gros consommateur d’électricité au niveau mondial. Une meilleure efficacité des transports ferroviaires électriques est un levier intéressant à actionner pour réduire l’empreinte carbone par passager.

Les études menées par SYSTRA indiquent qu’en exploitation, dans la plupart des cas, des économies substantielles d’énergie allant jusqu’à 30 % sont possibles.

S’il est tout à fait possible d’améliorer l’efficacité énergétique des systèmes de transport ferroviaire existants, il est toujours souhaitable d’anticiper ces changements lors des phases de planification et de conception. En effet cela optimise l’investissement nécessaire, et permet ainsi une baisse des coûts pour la collectivité voire in fine une baisse des tarifs pour les passagers, à même de favoriser une utilisation plus fréquente du réseau. Et encourager le plus grand nombre à utiliser le réseau ferroviaire, c’est réduire les émissions de carbone dues à la mobilité.

Au Brésil, SYSTRA conseille actuellement neuf opérateurs ferroviaires urbains du pays sur les mesures d’amélioration de l’efficacité énergétique qui permettraient le meilleur retour sur investissement.

Le Brésil bénéficie déjà d’une électricité à faible teneur en carbone, puisqu’il produit 87,7 % de son électricité à partir de ressources renouvelables, principalement hydroélectriques8.

L’étude réalisée par SYSTRA propose un éventail d’options d’amélioration énergétique, avec des recommandations personnalisées en fonction du profil des exploitants et de la région concernée. Ces recommandations concernent aussi bien la temporalité de la mise en œuvre des options (court, moyen ou long terme,) que les coûts d’investissement qu’elles impliquent.

L’étude a permis d’identifier des interventions peu coûteuses qui peuvent être mises en œuvre immédiatement et qui seront rapidement rentabilisées. Parmi celles-ci, on peut citer le réaménagement des grilles horaires, l’amélioration de la récupération de l’énergie de freinage d’un train à l’autre, une automatisation des équipements comme les escalators, ou encore le remplacement de l’éclairage par des LED. Le remplacement du matériel roulant vieillissant, plus difficile à entretenir, fait également partie des options étudiées, afin d’améliorer le coût total de possession et la qualité du service.

En complément, le développement et l’utilisation de jumeaux numériques permettrait de surveiller et d’optimiser les performances de systèmes tels que la traction et les auxiliaires comme le chauffage, la ventilation ou bien la climatisation. Cela permettrait également de mieux cartographier et prévoir la consommation d’énergie et la maintenance des actifs.

8Electricity generation mix in Brazil, 1 Jan – 19 Oct, 2019 and 2020 – Charts – Data & Statistics – IEA

De multiples innovations pour favoriser le déploiement des autobus électriques

Les systèmes de bus à haut niveau de service avec voie dédiée type BRT (Bus Rapid Transit) sont apparus dans les années 1970 en Amérique du Sud et se sont depuis répandus, si bien qu’aujourd’hui, des centaines de villes dans le monde les exploitent. Tous les véhicules, à quelques exceptions près, étant à moteur diesel, le défi consiste à mettre au point des solutions électriques à batterie qui permettront une transition rapide et relativement aisée.

Il existe néanmoins plusieurs freins à un déploiement plus étendu de la technologie des autobus électriques, notamment les dépenses d’investissement initiales nécessaires, l’autonomie limitée, le temps nécessaire à la recharge, le coût d’entretien et la durée de vie limitée de la batterie. 

L’Union internationale des transports publics (UITP) entend surmonter ces obstacles, notamment grâce à un programme de recherche et de développement financé par la Commission européenne. Les objectifs du programme sur les systèmes BRT sont de réduire de 70 % les émissions de gaz à effet de serre, de diminuer de 10 % le coût par kilomètre et par passager et le coût total de possession.

Le programme prévoit la participation de sept villes dotées de BRT existants, dont six villes européennes, et Bogota, en Colombie. Dans chacune d’entre elles, différentes technologies seront testées par les opérateurs de BRT, les autorités de transport public, les fabricants de matériel roulant et les fournisseurs d’équipement notamment :  des solutions de recharge intelligente, des solutions de maintenance prédictive, le jumeau numérique et la planification en temps réel de la flotte.

En tant que partenaire contributeur, SYSTRA interviendra tout au long des quatre années du programme, depuis la rédaction des cahiers des charges des innovations à tester jusqu’à l’évaluation de ces innovations à la fin de leur déploiement dans les villes. SYSTRA dirige également les travaux portant sur la stratégie de maintenance prédictive qui s’appuie sur la collecte de données au moyen de la technologie de l’internet des objets (IoT).

Grâce aux enseignements de ce programme, l’objectif est de déployer d’ici à 2030 des concepts e-BRT innovants à partir d’une sélection de technologies et de solutions qui ont prouvé leur intérêt et leur retour sur investissement dans des situations réelles. Près de 30 villes ont déjà été sélectionnées pour choisir le concept qui leur conviendra le mieux.

À venir

Dans le prochain article, nous examinerons le rôle que joue l’énergie propre dans la décarbonation de la mobilité et la manière dont elle est inextricablement liée au secteur des transports publics. Avec une vision planifiée, des politiques et des technologies adéquates, la décarbonation de la mobilité peut contribuer à la transition plus large vers les énergies propres, une autre question complexe.

Pour en savoir plus sur les initiatives de l’UITP en matière de transition énergétique, suivez ce lien : How should the public transport sector transition to renewable energy | UITP

Crédits photos : iStock, CAPA Pictures – Christian Fleury 2019

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