Tarification #4 : Comment les politiques de tarification des transports peuvent-elles contribuer à contrôler l’étalement urbain ?

Notre série de 5 articles sur la tarification se poursuit avec l’analyse d’Aurélie JEHANNO, directrice Mobilités, et Timothée COLLARD, consultant Mobilités, tous deux à la Direction Conseil & Aménagement de SYSTRA France. Ils analysent le lien entre les politiques de tarification des transports publics et le contrôle de l’étalement urbain.

La mobilité servicielle, aujourd’hui désignée sous le terme de MaaS, ne pourra se faire sans aborder la question de la tarification des transports, ou plus généralement de la mobilité. Une question qui n’est pas nouvelle mais qui se pose avec encore plus d’acuité dans un contexte de crise sanitaire, avec des opérateurs durement impactés, des comportements d’usagers devenus à la fois plus exigeants et imprévisibles, et une mobilité moins routinière. Dès lors, quelle politique tarifaire adopter ? Comment faire coïncider rentabilité et efficacité, flexibilité et durabilité ? Une politique tarifaire peut-elle être un levier pour gérer l’affluence dans les transports ? La tarification peut-elle agir sur l’urbanisation et la forme de la ville ?

Ces questions, nous les avons posées à nos experts. De l’Australie au Brésil, en passant par l’Asie, le Royaume-Uni et la France, notre réseau international de consultants a travaillé ensemble pour y répondre. Pendant un mois, nous apportons un éclairage sur le sujet, nourri par des expériences locales.

L’étalement urbain, une problématique mondiale

L’étalement urbain est une problématique mondiale, même si les réalités sont quelque peu différentes selon les continents. En effet, au cours des dernières décennies, les zones urbaines se sont étendues en moyenne deux fois plus vite que la croissance de la population urbaine [1]. Dans le contexte de la lutte contre le changement climatique, la consommation des sols est un paramètre particulièrement important.

En effet, de nombreuses études mettent en évidence les effets de l’expansion des surfaces urbanisées sur :

  • la diminution de la biodiversité par la fragmentation des habitats, l’imperméabilisation des sols, la concurrence avec d’autres usages, notamment l’agriculture (effets directs) ;
  • l’augmentation de la distance et de la longueur des déplacements, l’augmentation de la dépendance à la voiture et donc l’augmentation des émissions de CO2 et de polluants atmosphériques locaux, ainsi que les impacts sur la santé humaine (effets indirects).

Ces problématiques sont d’autant plus critiques que l’expansion urbaine est plus rapide dans les zones côtières de faible altitude, mettant ainsi des millions de personnes en danger.

L’organisation des transports et la conception des réseaux sont souvent citées comme un ingrédient puissant pour comprendre la dynamique du développement urbain. En particulier, plusieurs recherches ont montré que l’extension des infrastructures de transports a poussé les ménages à vivre plus loin et à augmenter leurs distances de déplacement plutôt que d’économiser du temps, comme le prévoient parfois les autorités locales.

Par conséquent, la création ou le développement de nouvelles infrastructures de transport devient à la fois la cause et la conséquence de l’étalement urbain, en particulier les routes, qui permettent un développement urbain plus lâche.

À une échelle mesurable, le choix de la distance entre le lieu de résidence et le lieu de travail est lié à trois variables : les prix de l’immobilier, le coût financier du transport et le temps de déplacement. Consciemment ou non, les ménages vont chercher un équilibre entre ces trois variables pour décider de la localisation de leur domicile et de leur lieu de travail, mais d’autres variables sont prises en compte dans ce cas. Des loyers élevés autour des lieux de travail encourageront les ménages à se déplacer plus loin, même si cela implique un coût quotidien plus élevé et un temps de trajet plus long. Dans les villes européennes, la plus forte densité de population autour des gares illustre cette tendance.

[1] Over the last decades urban population at national levels doubled when total urban area has quadrupled, Citation: Seto KC, Fragkias M, Güneralp B, Reilly MK (2011) A Meta-Analysis of Global Urban Land Expansion. PLoS ONE 6(8): e23777. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0023777

les conditions nécessaires pour faire de la tarification un levier efficace

Si la tarification des transports est un levier pour contrôler l’étalement urbain, il est nécessaire de souligner qu’il ne s’agit pas d’une baguette magique. Certaines conditions doivent être envisagées pour mobiliser efficacement ce levier. Nous en avons retenu 5 :

1. La tarification des transports doit être envisagée dans une approche multimodale [2], à la fois comme une incitation à utiliser des modes de transport moins consommateurs d’espace et plus propres, tels que les transports publics, la marche à pied et le vélo, et comme un outil permettant d’internaliser les coûts externes des autres modes de transport (mécanismes de tarification routière, stationnement, péage urbain…). Lorsque des taxes sont envisagées, l’existence de réelles alternatives de transport est nécessaire.

[2] Who pays what for urban transport? AFD, Codatu, 2009 with SYSTRA Support.

2. La tarification de la mobilité est une composante très sensible des politiques publiques et nécessite une solide légitimation de la part de la société civile [3].

Par exemple, le péage urbain, l’augmentation des tarifs des transports publics ou les taxes sur les carburants peuvent entraîner une forte contestation sociale, comme cela a été le cas :

  • en France, avec le mouvement des gilets jaunes en 2018, après le vote d’une taxe carbone sur les carburants,
  • au Chili, avec l’augmentation du prix des tickets de métro, en 2019, qui a déclenché un long mouvement de protestation sociale,
  • plus récemment, au Liban ou en Algérie, avec la hausse du prix des carburants.

[3] Context studies and specific skills in territorial dialogue are necessary

3. Il convient d’évaluer l’efficacité de la stratégie de tarification dans le cadre de l’ensemble des politiques en utilisant des modèles économétriques.

En effet, certaines mesures peuvent avoir un impact très faible sur l’étalement urbain en raison de leur faible élasticité et d’autres peuvent être plus efficaces en fonction des caractéristiques locales. Par exemple, une publication française du ministère français de l’environnement montre qu’à long terme, la mise en œuvre d’un système de tarification autour de Paris pourrait conduire à une réduction de 7% de la consommation foncière, tandis que la mise en œuvre d’un tarif fixe pour les transports publics montre une augmentation de 7% [4].

[4] « Politiques de tarification des transports et formes urbaines » – Ministère de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer – 2015

4. L’étalement urbain n’est pas le seul facteur de choix de la structure tarifaire, qui doit être lié à d’autres objectifs sociaux et environnementaux.

Par exemple, en Île-de-France, les autorités chargées des transports ont décidé en 2015 de modifier leur structure tarifaire zonale (réseau de transport public) pour une structure tarifaire uniforme afin d’augmenter la fréquentation et de promouvoir l’équité sociale.

5. La planification tarifaire visant à contrôler l’étalement urbain peut être efficace lorsqu’elle s’accompagne d’autres mesures destinées à réguler les marchés immobiliers et à capter la valeur foncière induite par les infrastructures de transport.

Le développement orienté vers le transport en commun mêlant développement des infrastructures et capture de la valeur foncière sont des alternatives à développer. Les résultats d’une étude que nous avons réalisée pour la région parisienne ont confirmé les effets des systèmes de transport lourds sur les prix de l’immobilier [5] et nous aidons la Caisse de Dépôt et Placement du Québec (CDPQ) à Montréal à optimiser cette captation de valeur autour du réseau du futur métro et de certaines de ses stations [6].

[5] Région Île-de-France, Impacts des infrastructures de transports sur le territoire, 2012 en collaboration avec SYSTRA

[6] Le département Infrastructures de la Caisse de Dépôt et de Placement du Québec (CDPQ) a confié aux équipes de SYSTRA une mission d’aménagement des fonctions foncières et urbaines autour des futures stations de la nouvelle ligne de métro automatique léger du projet Duroy, et notamment de la station Viauville.

Pour conclure et tracer des perspectives, les développements récents autour des systèmes MaaS sont prometteurs, car ils peuvent aider à intégrer la tarification dans une approche multimodale.

Il sera alors crucial que les autorités locales ajustent finement ces paramètres afin de se conformer à leurs objectifs globaux, notamment leur lutte contre l’étalement urbain et les conséquences du changement climatique.

Rendez-vous la semaine prochaine avec nos experts de SYSTRA Australie pour le dernier article de la série qui portera sur “Comment rendre les transports moins polluants ?”.

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