Aides à la conduite dans les tramways : quel intérêt selon le contexte ?

Les exploitants de tramways disposent de multiples outils d’aides à la conduite pouvant permettre d’améliorer la sécurité sur leurs lignes. Mathieu Mélenchon, System Engineering Manager chez SYSTRA, dresse un panorama des systèmes existants ou en cours d’expérimentation. Il évalue ensuite les services que pourraient rendre ces outils s’ils étaient déployés en France et dans deux autres pays.

Les systèmes d’aide à la conduite, ou « advanced driver assistance systems », sont nés dans le monde automobile, qui les définit comme suit : « Les systèmes d’aide à la conduite sont des systèmes de sécurité active qui peuvent améliorer la sécurité routière en permettant d’éviter des accidents ou d’en atténuer les conséquences. (*) »
(*) Voir l’article “Advanced driver assistance systems” sur le site www.erso.eu

Nous pouvons extrapoler cette définition au tramway en remplaçant « sécurité routière » par « sécurité de l’exploitation ». En plus des systèmes historiques comme ceux permettant de contrôler la vitesse, nous assistons aujourd’hui au développement de nouvelles solutions utilisant des technologies issues du monde automobile.

SIX TYPES D’OUTILS EXISTANTS OU EN COURS D’EXPÉRIMENTATION

A l’heure actuelle, les systèmes d’aide à la conduite pour les tramways peuvent être classés en six catégories, selon leur objectif.

1) Systèmes de surveillance de la vitesse

Ces dispositifs peuvent être permanents ou ponctuels. Les systèmes permanents comparent continuellement la vitesse du véhicule à une vitesse sécuritaire maximale. Cette vitesse maximale est soit calculée par le système suivant la position du train et les caractéristiques du véhicule, soit transmise par une balise au sol. Le conducteur reçoit l’information de la vitesse à respecter sur son tableau de bord. En cas de dépassement, la sanction peut être « douce » sous forme d’alarme, ou « forte » par déclenchement d’un freinage d’urgence.

Avec les systèmes ponctuels, le contrôle de vitesse se limite à certaines sections de la ligne. Le plus souvent, une balise transmet la vitesse à respecter et la distance d’application, le calculateur de bord informe le conducteur de la limitation, et peut là encore appliquer une sanction « douce » ou « forte ». Dans d’autres cas, une balise « intelligente » calcule la vitesse du véhicule, et si celle-ci est supérieure à la vitesse maximale sur la zone, elle transmet un ordre d’arrêt au tramway.

Notons que certains systèmes conservent les données de vitesse et d’accélération de chaque parcours à tout point de la ligne, à des fins d’investigation (en cas de chute de voyageurs) et de formation continue (pour identifier les conducteurs « à risque » et leur faire effectuer des rappels de formation).

2) Systèmes de surveillance de franchissement

Leur objectif est de détecter le non-respect de la signalisation latérale, signal réglementant l’accès à certaines zones – notamment celles à visibilité réduite ou difficiles d’accès. On trouve d’une part des systèmes au sol qui permettent de détecter le franchissement et alertent le conducteur via des signaux visuels et sonores, et d’autre part des systèmes qui transmettent au tramway une commande d’arrêt.

3) Systèmes anticollision

Ces dispositifs reposent sur des capteurs installés sur la rame qui détectent la présence d’obstacles sur la voie et alertent le conducteur via un système d’avertisseur sonore et lumineux. Le conducteur peut ainsi réagir plus vite et éviter des collisions, ou au moins en limiter les conséquences en réduisant la vitesse. Certains systèmes donnent la possibilité de déclencher un freinage automatique si le conducteur ne réagit pas aux alertes.

A l’avenir, ces solutions pourraient être enrichies par des équipements au sol, capables par exemple d’identifier la présence de véhicules routiers sur les voies aux carrefours. Les installations au sol communiqueraient les informations aux rames en approche, permettant aux systèmes embarqués d’anticiper davantage.

4) Systèmes de vigilance (état du conducteur)

Les systèmes traditionnels se présentent sous la forme d’une pédale ou d’un bouton situé dans la cabine de conduite, qui doit être régulièrement activé par le conducteur. Si ce dernier n’appuie pas sur la pédale ou sur le bouton, une commande de freinage (potentiellement réversible) s’enclenche.

En complément, de nouveaux systèmes sont expérimentés pour prévenir l’hypovigilance due à la fatigue en détectant ses signes précoces. Ces solutions nécessitent le suivi du métabolisme du conducteur, soit par le port d’un équipement de type bracelet connecté, soit par le monitoring facial du conducteur via une caméra. D’autres technologies sont à l’étude pour contrôler l’état du conducteur en suivant de près ses actions.

5) Systèmes de surveillance périmétrique (en station)

Grâce à des caméras placées le long du quai et à des écrans embarqués qui permettent de visualiser les échanges de voyageurs en station, le conducteur peut fermer les portes du tramway et partir en toute sécurité.

6) Systèmes de visualisation tête haute

Des dispositifs actuellement en cours d’expérimentation permettent d’afficher, dans le champ de vision du conducteur, des informations concernant la conduite du véhicule (vitesse, alarme…) ou son environnement (panneau de signalisation, intrusion d’un objet ou d’un individu dans le champ de manœuvre du tramway, etc.).

DES OUTILS D’UN INTÉRÊT VARIABLE SELON LES RÉSEAUX DE TRAMWAYS

Afin d’appréhender les impacts potentiels de ces aides à la conduite, nous avons étudié l’accidentologie de trois réseaux caractérisés par des contextes très différents, en France, en Australie et au Maroc.

1) Réseau de tramways français

Le réseau français possède la particularité d’être réalisé, pour sa plus grande part, en « site propre », c’est-à-dire sur une plateforme réservée aux tramways. Par ailleurs, les intersections routières sont systématiquement protégées par une signalisation lumineuse spécifique.

En 2017 (année du dernier rapport disponible d’accidentologie du STRMTG, Service technique des remontées mécaniques et des transports guidés), 28 agglomérations possédaient une ou plusieurs lignes de tramway, pour un total représentant 74 lignes.

Le réseau français peut être considéré comme sûr avec un nombre d’événements (c’est-à-dire d’incidents ayant entraîné des dégâts matériels et/ou des victimes) pour 10 000 km parcourus inférieur à 0,4, soit le plus faible des trois réseaux étudiés.

Le dernier rapport d’accidentologie du STRMTG fournit les informations suivantes pour l’année 2017 :

  • Les collisions avec des tiers sont à l’origine de 55% des incidents. Il s’agit surtout de collisions avec des voitures (65%), puis de collisions avec des vélos ou des piétons (24%). La survitesse n’est impliquée que dans une infime proportion (moins de 0,3%) des collisions avec des tiers, et ne constitue qu’un facteur aggravant, non une cause ;
  • Les « événements voyageurs », correspondant à « tout événement signalé ayant eu lieu dans le véhicule, à l’interface avec les portes, ou à l’interface entre le quai et la voie », représentent plus de 40% des incidents. Parmi ceux-ci, 68% concernent des chutes dans la rame à la suite d’un freinage d’urgence.

D’après ces informations, nous estimons que l’apport potentiel des différents systèmes d’aide à la conduite peut être évalué de la façon suivante dans le contexte du réseau de tramways français :

2) Réseau de tramways de l’État de Victoria, en Australie

L’État de Victoria possède le réseau de tramway le plus vaste au monde. C’est un réseau historique qui a démarré en 1885, et n’a jamais cessé d’être exploité. L’État possède un total de 24 lignes commerciales totalisant 245 km.

Contrairement au réseau français, celui-ci est installé majoritairement en site partagé avec les véhicules routiers, avec certaines stations ou arrêts directement implantés sur la chaussée. Les carrefours ne sont pas systématiquement protégés par une signalisation lumineuse.

Le nombre d’événements pour 10 000 km parcourus est légèrement supérieur à 0,7 (soit 75 % de plus que le réseau français). Concernant les données d’accidentologie, le rapport de Tram Safety Victoria pour l’année 2017 nous apprend que :

  • Les collisions avec des véhicules routiers représentent 65% des événements ;
  • 30% des incidents sont liés à des chutes de passagers, dont 22% de chutes dans les rames et 8% à l’interface véhicule/station.

En nous fondant sur ces données, voici comment nous jaugeons l’apport potentiel des différents systèmes d’aide à la conduite pour le réseau australien de tramways de Victoria :

3) Réseau de tramways de Rabat-Salé, au Maroc

Le réseau est récent : il a été inauguré en 2011. Les documents disponibles dans le domaine public portent sur l’exploitation des deux premières lignes de l’agglomération, qui représentent 19 km en site propre. Les carrefours sont protégés par une signalisation spécifique au niveau des croisements avec les véhicules routiers, mais le respect du code de la route est problématique.

Les données d’accidentologie proviennent d’une étude présentée au congrès international de Génie Industriel à Québec. L’étude porte sur les accidents liés à une collision avec le tramway, sur la période de janvier 2012 à septembre 2013. Elle indique que le nombre d’événements pour 10 000 km parcourus est légèrement supérieur à 0,85 (chiffre incluant uniquement les incidents dus à une collision).

Concernant les données d’accidentologie (limitées aux collisions), l’étude donne les informations suivantes :

  • Les collisions avec des véhicules routiers génèrent 60 % des événements ;
  • Les collisions avec des piétons représentent 18% des événements, mais sont responsables de 40% des victimes.

Ces informations nous conduisent à estimer comme suit l’apport potentiel des différents systèmes d’aide à la conduite dans le contexte du réseau marocain de tramways de Rabat-Salé :

ET MAINTENANT ?

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