Page 25 - Cahier Les futurs du métro
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Controverses
 C on tr o v er ses                                  Controverses
 Les    TEXTE  Un futur sans grandes    La mobilité a-t-elle encore   Le métro est-il
                        besoin de grandes
 infrastructures de mobilité
                                                                    un colosse aux pieds
 David Attié
                                                                    d’argile ?
 est-il envisageable ?
                        innovations disruptives ?
 questions   Transport  collectif  capacitaire  par  excellence,  le   Les systèmes Hyperloop, les véhicules volants (eV-  Système complexe, le métro a été forgé par le temps

 métro est aujourd’hui appelé à composer avec de
                        tèmes à grande vitesse sur coussin d’air. Ces projets
                                                                    faible ? Trop  lourd,  trop  technique  et  trop  coûteux,
 nouvelles mobilités point à point. Pourront-elles   TOL), les PRT nouvelles générations ou autres sys-  pour  être  robuste.  Mais  n’est-ce  pas  là  son  point
 qui tuent  Ces  dernières  années  les  constructeurs  auto-  mobiliser la recherche et les imaginaires. Pourtant,   Depuis plus d’un siècle, le métro plie, mais ne
                        de systèmes de transports innovants continuent à
                                                                    survivra-t-il aux crises de demain ?
 le rendre obsolète ?
                        peu d’entre eux auront le privilège d’un déploiement
 mobiles et le grand public se sont enthousias-
                                                                    silience, c’est-à-dire sa capacité à absorber un
 més pour les progrès des voitures autonomes.   à grande échelle.   rompt pas. Conçu pour durer, il façonne sa ré-
 Laissant présager un futur de mobilités porte-à-  « Dans le domaine de l’innovation et en cas de rup-  choc, à s’adapter et à se transformer. « On res-
 Le métro se ment-il à lui-même ?    porte  débarrassé  des  parkings,  les  robots-taxi   ture technologique, bien malin celui qui peut dire   pecte des normes de construction qui correspondent
 Nous avons posé trois questions    ont  fait  miroiter  de  grandes  transformations.   ce que va coûter la réponse aux problématiques de   à  une  ambition  de  robustesse »,  résume  Hervé
 qui tuent à Maud Bernard, Directrice    Faut-il y voir la fin des infrastructures de trans-  sécurité  et  de  disponibilité »,  explique  Hervé   Mazzoni.
                                                                    Absorber  un  choc,  c’est  envisager  la  défail-
                        Mazzoni. Autrement dit, un concept technolo-
 ports urbains au profit de flux individualisés ?
 de projet études mobilité et solutions   C’est  peu  probable,  en  tout  cas  dans  les   gique ne se suffit pas à lui-même, il faut antici-  lance. « Le concept global de notre système prévoit
 innovantes, Hervé Mazzoni, Expert    grandes villes. Car l’infrastructure du métro est   per les infrastructures, la logistique, les pannes,   des  fonctionnements  en  mode  dégradé ».  Chaque
 transport, et Tristan Vandeputte,    synonyme de capacité : « Une file de circulation   etc. À poursuivre la performance, certains pro-  dispositif anticipe plusieurs redondances pour
 Directeur de l’innovation, chez SYSTRA.  automobile de 3,5 m de large, c’est un débit de   jets perdraient de vue le réel. Après tout, le rail   garantir la continuité du service. Les rames au-
 1  000  personnes  par  heure.  Un  métro,  c’est   tient  la  route.  D’aucuns  rêvent  aujourd’hui  de   tomatiques sont équipées d’un pupitre de pilo-
 50 000 personnes par heure. Même en augmen-  supprimer  le  contact  rail/roue.  En  témoignent   tage manuel de secours.
 tant le taux d’occupation, on ne joue pas du tout   les initiatives des trains à sustentation magné-  L’adaptabilité  du  métro  consiste  à  ajuster  le
 dans la même cour », assène Maud Bernard.  tique, sur coussins d’air ou dans un tube à pres-  service  aux  besoins.  L’automatisation,  par
 À l’échelle de la ville, le réseau de métro fait   sion  réduite.  « Quelle  qu’en  soit  l’issue,  il y  aura   exemple,  permet  d’augmenter  l’offre  quasi-
 converger les voyageurs vers des corridors de   toujours des dérivés technologiques intéressants à   ment en temps réel. Elle contribue ainsi à en-
 déplacements  majoritaires  et  agit  comme  un   exploiter », éclaire Maud Bernard. En mobilisant   caisser de grosses variations de flux de voya-
 Tristan Vandeputte     système  dorsal.  Cette  performance  a  un  prix   l’imaginaire,  ces  totems  fédèrent  des volontés   geurs, comme pour l’évacuation d’un stade.
 Maud Bernard  Hervé Mazzoni
 que toutes les villes ne peuvent pas se payer : à   et des capitaux qui leur permettent de renverser   Enfin,  le  métro  se  transforme :  il  accueille  en
 défaut,  certaines  mettent  en  place  un  réseau   certaines  barrières.  Les  innovations  cachées   permanence les matériaux et les technologies
 de BRT (Bus Rapid Transit). Moins capacitaire   dans la voiture autonome ou le véhicule volant   qui l’améliorent et le perpétuent. Le remplace-
 Ashish Kumar,    que le métro, il rend tout de même service à la   trouveront à terme application dans un système   ment du bois par le métal pour la construction
 directeur des opérations – infrastructure, SYSTRA Inde   population et permet de désenclaver certains   de transport.  des rames a d’abord réduit les risques d’incen-
 « Le terme “ métro ” est relativement nouveau en Inde dans la mesure où le premier
 système de transport de masse rapide a été inauguré à Kolkata, en 1984. Il a fallu près de   quartiers.  Le métro est d’ailleurs passé par là. Depuis les   die ; puis le passage à l’aluminium a offert de
 23 ans pour construire la première ligne. Puis, en 1998, Dehli se fixa l’objectif ambitieux   L’exemple de Bogota est emblématique. Faute   premières locomotives à vapeur, il a bénéficié de   meilleures  performances  à  la  compression  en
 de mettre en place un réseau de plus de 300 km en l’espace de 15 ans. Aujourd’hui,   de moyens pour construire des lignes de mé-  nouveautés  technologiques  venues  d’ailleurs,   cas de collision, tout en réduisant le poids des
 l’Inde a environ 700  km de métro opérationnels et 600  km supplémentaires sont en   tro, la ville a investi dans un BRT. Victime de   qu’il  s’agisse  de  systèmes  de  freinage,  de   rames.
 construction, tandis que le gouvernement réfléchit à d’autres modes de transport   son  succès,  celui-ci  est  aujourd’hui  saturé  et   contrôles d’accès sans contact ou de techniques   Mais le métro ne peut pas tout faire, ni tout pré-
 alternatifs et complémentaires. Avec plus de 50 villes en Inde dont la population dépasse
 le million d’habitants, le besoin de systèmes de transport urbains est immense. Trouver   découpe  la  métropole  en  boulevards  infran-  de congélation des sols. « Si le métro a profité d’un   voir. « Il a son rôle à jouer, on peut le préparer à
 le bon système et le meilleur moyen de l’implémenter est donc la nécessité du moment. »   chissables et en stations bondées de 100 m de   environnement favorable à son développement, un   certaines situations mais il n’est pas seul, il fonc-
 long.  La  volonté  de  reproduire  le  débit  d’un   tel  environnement  semble  plus  difficile  à  réunir   tionne  en réseau. »  Maud  Bernard  rappelle  que
 Frédéric Bana,    métro avec des bus a provoqué de lourdes ex-  pour les projets innovants actuels, bien que le do-  les systèmes locaux sont une donnée majeure
 directeur général adjoint, SYSTRA USA, West Coast   ternalités négatives sur le tissu urbain.  maine de pertinence d’un certain nombre d’entre   de résilience, dans le sens où les solutions à mo-
 « Le métro doit être intégré dans une politique transport plus vaste. La multimodalité   Aussi structurant soit-il, le métro n’a pas voca-  eux soit réel », remarque Tristan Vandeputte.  biliser en cas de crise sont surtout organisation-
 s’appuyant sur une colonne vertébrale structurante comme un réseau métro permettra
 de répondre aux besoins en mobilité des urbains. De par l’étalement urbain de certaines   tion à faire du porte-à-porte, mais à répondre à   Quoi qu’il en soit, l’innovation doit se poser la   nelles. Une approche systémique doit prendre
 mégapoles avec des centres-villes multiples telles que Los Angeles, Lagos ou Sao Paulo,   une problématique de volume de voyageurs. À   question de son horizon. À l’heure de la crise en-  en  compte  l’offre  complémentaire  de  mobilité
 l’offre de transport doit s’adapter en conséquence et doit à la fois cibler les   commencer par la marche, il s’accompagne né-  vironnementale, peut-on concilier un imaginaire   et, à plus large échelle, elle doit aussi pouvoir
 déplacements ponctuels, courts et non planifiés/planifiables, pour lesquels les services   cessairement d’autres modes de déplacement   de vitesse avec celui de sobriété ?  être articulée avec la question de la planifica-
 de mobilité individuelle sont pertinents, tout autant que les déplacements récurrents   qui lui sont complémentaires.  tion urbaine, la localisation de nos activités et
 (trajets domicile-lieu de travail) pour lesquels les réseaux métro offrent une réponse
 idéale avec une capacité de transport élevée et une très forte intégration dans le tissu   l’occupation des sols.
 urbain sans créer de barrières entre quartiers. »


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