Page 24 - Cahier Les futurs du métro
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Controverses
C on tr o v er ses Controverses
Les TEXTE Un futur sans grandes La mobilité a-t-elle encore Le métro est-il
besoin de grandes
infrastructures de mobilité
un colosse aux pieds
David Attié
d’argile ?
est-il envisageable ?
innovations disruptives ?
questions Transport collectif capacitaire par excellence, le Les systèmes Hyperloop, les véhicules volants (eV- Système complexe, le métro a été forgé par le temps
métro est aujourd’hui appelé à composer avec de
tèmes à grande vitesse sur coussin d’air. Ces projets
faible ? Trop lourd, trop technique et trop coûteux,
nouvelles mobilités point à point. Pourront-elles TOL), les PRT nouvelles générations ou autres sys- pour être robuste. Mais n’est-ce pas là son point
qui tuent Ces dernières années les constructeurs auto- mobiliser la recherche et les imaginaires. Pourtant, Depuis plus d’un siècle, le métro plie, mais ne
de systèmes de transports innovants continuent à
survivra-t-il aux crises de demain ?
le rendre obsolète ?
peu d’entre eux auront le privilège d’un déploiement
mobiles et le grand public se sont enthousias-
silience, c’est-à-dire sa capacité à absorber un
més pour les progrès des voitures autonomes. à grande échelle. rompt pas. Conçu pour durer, il façonne sa ré-
Laissant présager un futur de mobilités porte-à- « Dans le domaine de l’innovation et en cas de rup- choc, à s’adapter et à se transformer. « On res-
Le métro se ment-il à lui-même ? porte débarrassé des parkings, les robots-taxi ture technologique, bien malin celui qui peut dire pecte des normes de construction qui correspondent
Nous avons posé trois questions ont fait miroiter de grandes transformations. ce que va coûter la réponse aux problématiques de à une ambition de robustesse », résume Hervé
qui tuent à Maud Bernard, Directrice Faut-il y voir la fin des infrastructures de trans- sécurité et de disponibilité », explique Hervé Mazzoni.
Absorber un choc, c’est envisager la défail-
Mazzoni. Autrement dit, un concept technolo-
ports urbains au profit de flux individualisés ?
de projet études mobilité et solutions C’est peu probable, en tout cas dans les gique ne se suffit pas à lui-même, il faut antici- lance. « Le concept global de notre système prévoit
innovantes, Hervé Mazzoni, Expert grandes villes. Car l’infrastructure du métro est per les infrastructures, la logistique, les pannes, des fonctionnements en mode dégradé ». Chaque
transport, et Tristan Vandeputte, synonyme de capacité : « Une file de circulation etc. À poursuivre la performance, certains pro- dispositif anticipe plusieurs redondances pour
Directeur de l’innovation, chez SYSTRA. automobile de 3,5 m de large, c’est un débit de jets perdraient de vue le réel. Après tout, le rail garantir la continuité du service. Les rames au-
1 000 personnes par heure. Un métro, c’est tient la route. D’aucuns rêvent aujourd’hui de tomatiques sont équipées d’un pupitre de pilo-
50 000 personnes par heure. Même en augmen- supprimer le contact rail/roue. En témoignent tage manuel de secours.
tant le taux d’occupation, on ne joue pas du tout les initiatives des trains à sustentation magné- L’adaptabilité du métro consiste à ajuster le
dans la même cour », assène Maud Bernard. tique, sur coussins d’air ou dans un tube à pres- service aux besoins. L’automatisation, par
À l’échelle de la ville, le réseau de métro fait sion réduite. « Quelle qu’en soit l’issue, il y aura exemple, permet d’augmenter l’offre quasi-
converger les voyageurs vers des corridors de toujours des dérivés technologiques intéressants à ment en temps réel. Elle contribue ainsi à en-
déplacements majoritaires et agit comme un exploiter », éclaire Maud Bernard. En mobilisant caisser de grosses variations de flux de voya-
Tristan Vandeputte système dorsal. Cette performance a un prix l’imaginaire, ces totems fédèrent des volontés geurs, comme pour l’évacuation d’un stade.
Maud Bernard Hervé Mazzoni
que toutes les villes ne peuvent pas se payer : à et des capitaux qui leur permettent de renverser Enfin, le métro se transforme : il accueille en
défaut, certaines mettent en place un réseau certaines barrières. Les innovations cachées permanence les matériaux et les technologies
de BRT (Bus Rapid Transit). Moins capacitaire dans la voiture autonome ou le véhicule volant qui l’améliorent et le perpétuent. Le remplace-
Ashish Kumar, que le métro, il rend tout de même service à la trouveront à terme application dans un système ment du bois par le métal pour la construction
directeur des opérations – infrastructure, SYSTRA Inde population et permet de désenclaver certains de transport. des rames a d’abord réduit les risques d’incen-
« Le terme “ métro ” est relativement nouveau en Inde dans la mesure où le premier
système de transport de masse rapide a été inauguré à Kolkata, en 1984. Il a fallu près de quartiers. Le métro est d’ailleurs passé par là. Depuis les die ; puis le passage à l’aluminium a offert de
23 ans pour construire la première ligne. Puis, en 1998, Dehli se fixa l’objectif ambitieux L’exemple de Bogota est emblématique. Faute premières locomotives à vapeur, il a bénéficié de meilleures performances à la compression en
de mettre en place un réseau de plus de 300 km en l’espace de 15 ans. Aujourd’hui, de moyens pour construire des lignes de mé- nouveautés technologiques venues d’ailleurs, cas de collision, tout en réduisant le poids des
l’Inde a environ 700 km de métro opérationnels et 600 km supplémentaires sont en tro, la ville a investi dans un BRT. Victime de qu’il s’agisse de systèmes de freinage, de rames.
construction, tandis que le gouvernement réfléchit à d’autres modes de transport son succès, celui-ci est aujourd’hui saturé et contrôles d’accès sans contact ou de techniques Mais le métro ne peut pas tout faire, ni tout pré-
alternatifs et complémentaires. Avec plus de 50 villes en Inde dont la population dépasse
le million d’habitants, le besoin de systèmes de transport urbains est immense. Trouver découpe la métropole en boulevards infran- de congélation des sols. « Si le métro a profité d’un voir. « Il a son rôle à jouer, on peut le préparer à
le bon système et le meilleur moyen de l’implémenter est donc la nécessité du moment. » chissables et en stations bondées de 100 m de environnement favorable à son développement, un certaines situations mais il n’est pas seul, il fonc-
long. La volonté de reproduire le débit d’un tel environnement semble plus difficile à réunir tionne en réseau. » Maud Bernard rappelle que
Frédéric Bana, métro avec des bus a provoqué de lourdes ex- pour les projets innovants actuels, bien que le do- les systèmes locaux sont une donnée majeure
directeur général adjoint, SYSTRA USA, West Coast ternalités négatives sur le tissu urbain. maine de pertinence d’un certain nombre d’entre de résilience, dans le sens où les solutions à mo-
« Le métro doit être intégré dans une politique transport plus vaste. La multimodalité Aussi structurant soit-il, le métro n’a pas voca- eux soit réel », remarque Tristan Vandeputte. biliser en cas de crise sont surtout organisation-
s’appuyant sur une colonne vertébrale structurante comme un réseau métro permettra
de répondre aux besoins en mobilité des urbains. De par l’étalement urbain de certaines tion à faire du porte-à-porte, mais à répondre à Quoi qu’il en soit, l’innovation doit se poser la nelles. Une approche systémique doit prendre
mégapoles avec des centres-villes multiples telles que Los Angeles, Lagos ou Sao Paulo, une problématique de volume de voyageurs. À question de son horizon. À l’heure de la crise en- en compte l’offre complémentaire de mobilité
l’offre de transport doit s’adapter en conséquence et doit à la fois cibler les commencer par la marche, il s’accompagne né- vironnementale, peut-on concilier un imaginaire et, à plus large échelle, elle doit aussi pouvoir
déplacements ponctuels, courts et non planifiés/planifiables, pour lesquels les services cessairement d’autres modes de déplacement de vitesse avec celui de sobriété ? être articulée avec la question de la planifica-
de mobilité individuelle sont pertinents, tout autant que les déplacements récurrents qui lui sont complémentaires. tion urbaine, la localisation de nos activités et
(trajets domicile-lieu de travail) pour lesquels les réseaux métro offrent une réponse
idéale avec une capacité de transport élevée et une très forte intégration dans le tissu l’occupation des sols.
urbain sans créer de barrières entre quartiers. »
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