07 décembre 2018
Le co-fondateur de notre filiale IBT, Daniel Tassin, a récemment été admis à l’Académie Nationale d’Ingénierie (National Academy of Engineering) aux États-Unis.

Cet honneur témoigne de son autorité en matière de conception et de construction de ponts en béton à voussoirs, sur l’ensemble de ses 50 ans de carrière.

Vous avez travaillé avec Jean Muller, le célèbre ingénieur français. Qu’avez-vous appris de cette expérience ?

Jean Muller était à la fois ingénieur, architecte, entrepreneur et inventeur. Une telle combinaison de talents chez une seule personne est très rare, et n’existe probablement plus de nos jours. Dans le domaine de l’ingénierie des ponts, il m’a appris la rigueur technique, mais aussi l’optimisation des coûts de construction, le respect des méthodes d’exécution et la recherche de qualité esthétique. Il a toujours considéré le travail et l’honnêteté intellectuelle comme deux qualités essentielles pour un ingénieur.

Comment le domaine de l’ingénierie a-t-il évolué durant votre carrière ?

Beaucoup de choses ont changé en 45 ans… Quand j’ai débuté comme ingénieur d’études, nous utilisions des règles à calcul et on communiquait par courrier, télex et téléphone. Tout cela a changé avec les ordinateurs modernes et Internet. Le mémorandum rassemblant les normes de calcul des ouvrages d’art tenait dans un livret d’environ 5cm d’épaisseur, soit environ cinq fois moins que de nos jours. Le processus des études d’ingénierie est devenu plus complexe avec parfois plusieurs niveaux de vérifications indépendantes, des procédures de qualité suivant les normes ISO, et une augmentation des activités de gestion de projet.

Ce sont des évolutions majeures mais il est important de rester créatif même si les directives sont strictes. Notre jugement d’ingénieur doit primer sur les données issues des ordinateurs.

Comme ingénieur d’études, quelles sont les structures qui vous ont inspiré dans votre travail ?

Quand j’étais étudiant en école d’ingénierie, je me rappelle avoir visité le chantier du Pont de Brotonne en Normandie pendant sa construction. La travée principale de 320 m était alors un record mondial pour un tablier haubané en béton. Ce concept révolutionnaire était aussi d’une grande élégance. Il a servi de modèle pour le « Sunshine Skyway Bridge » construit 10 ans plus tard en Floride.

J’ai toujours été particulièrement impressionné par le Pont de Normandie. Ce pont aussi était un projet révolutionnaire lors de sa construction : sa travée principale de 856 m représentait un pas de géant comparé aux autres ponts à haubans de l’époque.

La tour Burj Khalifa à Dubaï est aussi une magnifique structure, en forme de lance pointée vers le ciel. Techniquement, elle représente une évolution majeure par rapport au précédent plus haut gratte-ciel mondial de l’époque (452 m).

Pont de Brotonne

Quel a été le plus grand challenge de votre carrière ?

Après avoir travaillé cinq ans dans un bureau d’études à Paris, j’avais accepté une mission pour participer à la supervision de la construction des ponts des « Florida Keys », au sud de Miami. Le concept de Jean Muller pour ces ouvrages maritimes était totalement nouveau, particulièrement aux Etats Unis où la méthode de construction avec voussoirs préfabriqués était inconnue. Ce fut une vraie aventure compte-tenu de mon faible niveau d’anglais et de mes connaissances limitées dans la construction des ponts en général. Mais finalement, ce fut une expérience unique.

De quel projet êtes-vous le plus fier ?

Probablement le Pont de la Confédération au Canada. C’était un immense pont avec 44 travées de 250 m en eau profonde dans le Détroit de Northumberland. Les forces de poussée de glace sur chaque pile atteignaient 3 000 tonnes. Le pont a été totalement préfabriqué y compris les fondations. Les plus grands éléments du tablier pesaient jusqu’à 7 500 tonnes. L’ouvrage fut assemblé avec une grue géante, le Svanen, en 12 mois de travail, un record pour un pont de cette taille.

Le planning de construction était si serré que nous devions parfois produire les dessins d’atelier avant d’avoir fini les études. Une partie des fondations fut mise en place au fond de l’eau avant que les études n’aient été approuvées. Aujourd’hui, personne ne prendrait de tels risques.

Quels conseils donneriez-vous à des ingénieurs en début de carrière ?

À l’école, nous acquérons des outils pour les études de structures mais on ne devient réellement ingénieur qu’en apprenant à utiliser ces outils. Pour cela, il faut participer à un grand nombre de projets, des études à la fin de leur construction, et apprendre de nos erreurs comme de celles des autres. Il faut se rappeler que les ponts sont des ouvrages particulièrement visibles dans l’environnement et qu’ils durent longtemps. C’est pourquoi il faut prêter une attention particulière à la qualité esthétique de nos projets.

Comment l’ingénierie des ponts va-t-elle évoluer dans un futur proche ?

La résistance des matériaux comme l’acier et le béton s’améliore régulièrement d’année en année. Les matériaux composites n’ont pas encore été utilisés à grande échelle dans le domaine des ponts pour des raisons économiques, cependant ils offrent d’excellentes solutions pour la réparation des ponts existants.

Les infrastructures vieillissent, du moins en Amérique du Nord, et il va y avoir une demande accrue pour la réparation ou le remplacement des structures. Par exemple, nous avons récemment remplacé tous les haubans d’un pont en Louisiane sans en interrompre le trafic. L’entretien et la surveillance des structures à distance devraient permettre d’éviter des effondrements catastrophiques comme nous en avons connus récemment.

Le BIM (Building Information Modelling) révolutionne la façon de communiquer entre ingénieurs, architectes et entrepreneurs, et cette technique va certainement se développer aussi dans l’ingénierie des ponts.

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