Le défi de la transition énergétique pour les réseaux de bus et de cars

La transition énergétique dans les réseaux de transport : cette expression tant usitée nous paraît familière, alors que nous ne sommes qu’au début de cette mutation et que celle-ci va bouleverser l’exploitation des réseaux de transport que nous connaissons.
Marc Boudier, Responsable d’études à la Direction Conseil et Aménagement de SYSTRA, donne ici les clés pour définir une stratégie de transition énergétique pour un réseau de transport en commun routier. Quels sont les choix technologiques possibles ? Qu’est-ce qui change par rapport à l’ère du tout pétrole ? Existe-t-il une recette duplicable sur chaque territoire ? Comment maîtriser les nouvelles technologies dites « propres » ? Quels sont les coûts et les risques associés ?

En France, la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) a rendu obligatoire la mutation des réseaux de transport collectif routier vers des flottes de véhicules propres pour les agglomérations de plus de 250 000 habitants, ainsi que pour les communes de toutes tailles soumises à un plan de protection de l’atmosphère. Les agglomérations concernées devront réaliser cette transition énergétique partiellement à partir de 2020, et complètement à partir de 2025, au fil des renouvellements de flottes de véhicules.

Cette législation a un double effet : d’une part, elle renforce les nouvelles filières de mobilité sur les territoires concernés, d’autre part, elle pousse les villes non directement soumises à la LTECV, pour ne pas perdre en attractivité, à se poser sérieusement la question d’aborder la transition énergétique – au moins partiellement – sur leurs réseaux. Ainsi, les réseaux de bus et de cars des grandes agglomérations deviennent les chefs de file de la transition énergétique pour les autres réseaux de transport urbain, ainsi que les chefs de file d’une mobilité propre à un sens plus large, étendu aux territoires interurbains, aux véhicules légers et aux nouveaux modes de mobilité (vélos, trottinettes…).

S’INTERROGER SUR LES BESOINS LOCAUX DE MOBILITÉ

Le déploiement de transports collectifs routiers propres entraînera une réelle amélioration de l’environnement local (qualité de l’air, environnement sonore…) qui devra se confirmer au global sur l’ensemble du cycle environnemental de la technologie. Néanmoins, mettre en place un réseau de transport dont l’efficacité serait limitée, voire non appropriée par rapport aux besoins de mobilité locaux, n’aurait pas plus de sens avec des énergies propres qu’avec des énergies issues du pétrole.

Ainsi la transition énergétique est l’occasion de se réinterroger sur l’efficience des différents réseaux de transport, et de mettre en place les actions suivantes :

Ce sont autant de démarches qui permettent de définir un réseau de transport en commun qualitatif : robuste (fiable, résistant aux aléas), souple (permettant une adaptation de l’offre, une interopérabilité, une multi-opérabilité du parcours voyageur pour coller aux besoins de chacun), et accessible (information claire, facilité d’accès, tarif attractif, mode de transport adapté à tous les types de populations et notamment aux personnes à mobilité réduite).

Après avoir mené ces différentes actions pour consolider le réseau de transport existant on pourra passer aux étapes suivantes. Quel choix de technologies dites “propres” se présente ? Et qu’est-ce que ces technologies changent par rapport au Diesel ?

PASSER EN REVUE LES CHOIX TECHNOLOGIQUES POSSIBLES

Lorsqu’on parle de transition énergétique des réseaux de transport en commun routier, la première technologie qui vient à l’esprit est l’électricité. Il en existe trois types utilisant des batteries :

  • la charge lente (le véhicule est rechargé pendant plusieurs heures lorsqu’il n’est plus en exploitation, souvent la nuit au dépôt) ;
  • la charge rapide (le véhicule est chargé en quelques minutes, plusieurs fois au cours de sa journée d’exploitation, souvent en terminus ou parfois à des arrêts intermédiaires) ;
  • et le trolleybus (bus chargé en ligne au moyen de caténaires ; les nouvelles générations intègrent des petites batteries dans ces véhicules permettant d’avoir une petite autonomie hors caténaire).

Déjà très répandue dans certains districts en Chine (Shenzhen notamment), la technologie électrique sur batterie commence à être déployée à plus large échelle en Europe au rythme du renouvellement des flottes de bus et de cars.

L’approche “tout électrique” a cependant des limites, non seulement en termes d’autonomie des véhicules, mais aussi de bilan global environnemental reposant sur une électricité décarbonée et sur la production de batteries à partir de métaux rares. Ainsi les réflexions s’orientent aujourd’hui vers une transition intégrant une mixité énergétique.

En France, la loi de transition énergétique pour la croissance verte intègre dans la définition des véhicules propres, en plus des véhicules électriques, les véhicules fonctionnant au gaz avec une proportion minimale de gaz d’origine renouvelable (30% à partir de 2025). Dans ce cadre, la technologie “gaz naturel véhicule” (GNV), qui est mature pour les bus, est revenue sur le devant de la scène. Elle présente en effet des avantages en matière d’autonomie et de coût.
Néanmoins tout l’enjeu pour utiliser cette technologie est de se procurer du bio GNV (GNV d’origine renouvelable obtenu grâce à la méthanisation des déchets) ; ce qui, nous le verrons, n’est pas si simple.

Une autre technique, encore en phase pilote mais prometteuse, repose sur l’utilisation de dihydrogène (H2) produit par électrolyse de l’eau. Cette méthode a un bon bilan environnemental en France mais elle est énergivore – il faut deux à trois Kwh d’électricité pour produire l’équivalent énergétique d’un Kwh de dihydrogène -, ce qui la rend chère.

Enfin, d’autres solutions fondées sur des sources d’énergie plus « exotiques » sont également à l’étude et peuvent se révéler intéressantes dans certains territoires. Parmi celles-ci, nous citerons en particulier l’utilisation de biocarburants.

COMPRENDRE CE QUE LES TECHNOLOGIES PROPRES CHANGENT PAR RAPPORT AU PÉTROLE

Les réseaux de bus Diesel utilisent une technologie éprouvée et maîtrisée, mais qui, du fait de l’utilisation d’une énergie fossile, ne correspond plus aux standards sur les rejets de gaz à effet de serre.

Aujourd’hui, avec les énergies propres, on ne peut plus penser simplement « moyens pour un réseau de transport = achat de véhicules ». Il faut changer de vision et penser « système », en intégrant les infrastructures et le plan d’exploitation. De l’offre de transport définie découle la construction d’un schéma d’exploitation, pour lequel il faut dimensionner un système qui répondra à tous les besoins de l’exploitation. Les technologies dites “propres” nécessitent un changement d’organisation et la formation de personnel qualifié.

Pour réaliser la transition énergétique d’un réseau de bus ou de cars, voici les huit principaux critères à regarder, qui définiront la pertinence de telle ou telle technologie :

  • L’autonomie des véhicules ;
  • Le temps d’avitaillement des véhicules (temps nécessaire pour approvisionner les véhicules en énergie) ;
  • La sécurisation de l’approvisionnement en énergie propre (décarbonée ou renouvelable) ;
  • La souplesse sur l’évolution de l’offre de transport, notamment du tracé des lignes commerciales ;
  • Les coûts globaux d’investissement ;
  • Les coûts globaux de fonctionnement ;
  • Le bilan environnemental local sur l’ensemble du cycle de vie de la technologie ;
  • Le bilan environnemental global sur l’ensemble du cycle de vie de la technologie.

Le tableau ci-dessous représente l’évaluation générale des principales “technologies propres” au regard de ces huit critères.

Comme on le voit dans ce tableau, la technologie répondant favorablement à tous les critères n’existe pas. Le premier prisme pour choisir une technologie adaptée est le besoin d’exploitation. Afin d’évaluer comment les différentes “technologies propres” répondent à ce besoin, on répartit les services de bus (ou de cars) en fonction du nombre de kilomètres journaliers réalisés et de l’autonomie nécessaire associée. Un second prisme est le contexte territorial : en effet, la pertinence de l’utilisation d’une énergie va pouvoir être modulée en tenant compte des filières existantes et des projets du territoire.

Si une seule technologie est retenue pour répondre à l’ensemble des besoins, on reste dans un système mono-énergie. Dans le cas contraire, on parle de mixité énergétique.

UTILISER LES SYNERGIES LOCALES, EN LIEN AVEC LA POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE DU TERRITOIRE

L’analyse fine des atouts du territoire va permettre d’orienter la stratégie de transition énergétique. On pense tout naturellement aux réseaux de distribution énergétique tels que le réseau d’électricité et le réseau de gaz, qui bénéficient globalement d’une bonne couverture à l’échelle nationale dans les environnements urbains.
Cependant, un territoire peut également utiliser des synergies liées à des activités spécifiques qui produisent des déchets valorisables pour la transition énergétique. On peut citer par exemple l’utilisation de marc de raisin pour créer du bioéthanol, solution utilisée dans les régions viticoles.
De même, les territoires possédant des activités industrielles peuvent étudier l’utilisation des rejets de dihydrogène : cette solution est notamment utilisée en Allemagne et aux Pays-Bas pour avitailler des bus dihydrogène à très bon marché tout en valorisant un déchet industriel.

Un autre moyen de mettre à profit des synergies territoriales consiste à mutualiser des stations d’énergie. Autant les stations électriques restent encore difficilement mutualisables entre les véhicules légers et les bus, pour des raisons notamment de puissance et de temps de chargement, autant il est aisé de mutualiser des stations de gaz naturel véhicule (GNV).
Pour faciliter le déploiement de cette dernière technologie, la stratégie de transition énergétique de réseaux de bus et de cars peut être considérée comme la tête de proue d’une stratégie plus large de développement de la mobilité propre au sein du territoire. Par exemple, le développement de stations publiques de GNV pourra bénéficier au réseau de transport en commun routier, mais également aux particuliers et aux professionnels du transport de marchandises.

Les réseaux de bus et de cars fonctionnant au Diesel sont directement dépendants des cours journaliers du pétrole et de l’approvisionnement concentré dans certaines régions du monde, ce qui représente un risque non négligeable pour les équilibres économiques et la mobilité. Au contraire des carburants issus de l’industrie pétrolière, certaines énergies propres renforcent l’indépendance énergétique des territoires et permettent de mettre en place des contrats pluriannuels d’approvisionnement, sécurisant ainsi les volumes et les coûts.

Cependant, à l’instar de tout développement important de filière, la transition énergétique nécessite de connaître et de maîtriser des risques spécifiques.

PRÉVENIR LES RISQUES LIÉS AUX ÉNERGIES PROPRES

Les risques à couvrir dans la transition énergétique sont liés de manière inhérente aux énergies propres retenues. Il serait illusoire de vouloir les citer tous. Le tableau ci-dessous répertorie les types de risques majeurs et indique les moyens de prévention à mettre en œuvre. Dans tous les cas, l’objectif consiste à assurer la continuité de service du réseau de bus ou de cars dès le début de la transition, et durablement dans le temps au-delà de cette période.

Au-delà de la gestion des risques que nous venons d’évoquer, toute collectivité qui réalise la transition énergétique de son réseau de bus ou de cars se trouve confrontée à un autre impératif : maîtriser les coûts de cette mutation.

MAÎTRISER LES COÛTS DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE POUR LA COLLECTIVITÉ

Avec la réduction des financements publics, la maîtrise des coûts de la transition énergétique est une réelle clé de succès. Actuellement, les principaux coûts d’exploitation de véhicules Diesel se décomposent en trois catégories (hors salaire du conducteur) : le matériel roulant (bus ou car), la maintenance et le carburant. Demain, avec les technologies propres, il faudra tenir compte du coût de l’infrastructure et du renouvellement de certains composants comme la batterie ou la pile à combustible.

Le graphique ci-dessous compare les coûts annuels en euros des technologies propres reposant sur le dihydrogène (H2), l’électricité à charge lente, le GNV (gaz naturel véhicule), et le bio GNV, aux coûts de la technologie thermique (Diesel).

Ce graphique a été réalisé en modélisant un réseau urbain de 50 bus (dont la moitié de bus standard et la moitié de bus articulés) répartis sur un dépôt et réalisant chacun 60 000 km annuels. Pour l’infrastructure, les coûts présentés prennent en compte les dispositifs d’avitaillement mais le génie civil n’est pas inclus.

Lorsqu’on compare les technologies d’énergie propre au thermique (Diesel), on constate que le recours au gaz naturel véhicule (GNV) constitue la solution la moins coûteuse. Cela peut expliquer qu’un certain nombre de collectivités aient choisi cette technologie pour leur réseau de bus. Néanmoins le GNV reste une énergie fossile, qui émet un volume de gaz à effet de serre réduit de 25% seulement par rapport au Diesel.

La solution reposant sur le bioGNV (GNV d’origine renouvelable produit par le processus de méthanisation des déchets) préserve bien mieux l’environnement que le GNV, mais coûte trois à quatre fois plus cher en carburant. De plus, son approvisionnement peut être limité en quantité, car on estime qu’il faut utiliser les déchets de 7000 personnes pour pouvoir alimenter un bus en bioGNV.

La technologie dihydrogène reste à des coûts élevés, qui représentent à ce jour deux fois ceux de la technologie thermique, même si les coûts de maintenance devraient baisser en passant de la flotte prototype existante à une organisation plus industrielle. Les baisses de prix à attendre des projets européens de massification des achats tels que JIVE (Joint initiative for hydrogen vehicles accross Europe) ont été prises en compte dans notre simulation.

Avec une électricité française relativement bon marché et majoritairement décarbonée, la technologie électrique semble aujourd’hui tirer son épingle du jeu à la fois en termes d’impact environnemental et de coût. Mais sur ce dernier point il faut rester vigilant, car les carburants issus du pétrole sont actuellement beaucoup plus taxés que l’électricité. Toute évolution de la fiscalité sur l’énergie sera de nature à changer l’équation économique…

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